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22 décembre 2014 1 22 /12 /décembre /2014 17:03
Entretien avec Difu Richard le 15 septembre 2014 à Marcory, Abidjan, Côte d'Ivoire. (photo NZ)

Entretien avec Difu Richard le 15 septembre 2014 à Marcory, Abidjan, Côte d'Ivoire. (photo NZ)

Les personnes de petite taille, désignées le plus souvent sous le vocable de « nains » évoluent dans divers secteurs socio-économique en Côte d'Ivoire. Elles glanent des lauriers avec des fortunes diverses. Nous sommes allée à leur rencontre.

Quand vous les croisez dans la rue, vous vous mettez à rire, si vous ne fuyez pas. A tort, l’opinion croit que les personnes de petite taille sont des sous-hommes. Des parias ou encore des sorciers. Que de préjugés. L' handicap de la taille n’empêche pas d’être un citoyen normal et ambitieux. Les belles histoires ne manquent pas.

Difu Richard, champion d’Afrique…

Il est midi et le soleil rayonne sur la pelouse du stade Robert Champroux de Marcory ce 15 septembre. Les footballeurs du Sewé Sport de San Pedro viennent de boucler leur entrainement. A l’angle droit, Difu Richard, un jeune athlète âgé de 23 ans est paré d’un maillot aux couleurs nationales. Il mesure 1,30 m. Javelot en main, il s’amuse à lancer et lancer encore. Tenez vous bien, Richard est champion d’Afrique de sa catégorie et troisième sur le plan mondial. Mais pour lui, ce n’est pas encore le sommet. Son ambition est de se qualifier pour les jeux olympiques de Rio en 2016. Ce qui explique sa motivation à l’entrainement, même si le coach n’est pas présente ce jour. C’est tout sourire qu’il marque un arrêt pour raconter sa « success story ». « J’ai arrêté l’école en première par faute de moyens financiers. Un jour, une femme m’interpelle dans la rue pour m’informer qu’au niveau de l’handisport, on a besoin de personne de petite taille en athlétisme. Après un petit moment de réflexion, j’ai rejoins le coach Djoman Emilie ». Il ne lâchera plus le coach avec qui il s’entraine depuis deux ans maintenant. « J’étais content parce que je sentais que cette rencontre allait changer ma vie. J’entendais que dans le sport, il y a beaucoup d’opportunités. » Mais sa famille n’y croit pas trop. Pour elle, en dehors du football, il est difficile d’émerger à partir du sport en Côte d’Ivoire. Ses proches disent même de son aventure qu’elle est « une perte de temps ». Des mots qui ne découragent pas Richard. Malgré les clichés, il a foi en la réussite, dur comme fer. Rien ne l’arrête. Le 16 juin dernier, en meeting mondial à Tunis, il ramène deux médailles d’or à la Côte d’Ivoire. A l’aéroport, il ne bénéficie pas de l’honneur de la Nation. Peu de médias font échos de ses performances. Mais notre jeune athlète se réjouit des accolades de ses parents. Ses proches changent de regard et le soutiennent désormais. Si Richard s’est tourné vers le sport au détriment d’une formation qualifiante dans l’entreprise, c’est parce qu’il y voit une voie de reconversion digne. « J’aurais pu apprendre un métier et m’insérer dans le privé. Mais il est souvent difficile pour les chefs d’entreprises de nous embaucher à cause de notre petite taille », regrette le jeune homme. L’embûche ne s’arrête pas à l’entreprise. Difu ne se rappelle plus le nombre de fois qu’il a été piétiné dans le bus en se rendant à l’entrainement : « les gens marchent sur nous dans le bus, sans faire exprès. Je ne leur en veux pas. C’est parce que les véhicules de transport ne sont pas adaptés pour nous, mais nous n’avons pas le choix. » Kimi Edwige, secrétaire permanente de l’Association ivoirienne des sports paralympiques salue la motivation de Difu malgré les écueils. « Avec lui, nous n’avons pas eu de difficulté d’adaptation. Dès le premier jour, il n’a jamais arrêté. Il est motivé et conscient de ce qu’il fait. Ce qui n’est pas toujours le cas avec les autres athlètes. Nous avons enregistré des absences dans leur rang », clame-t-elle. Difu fait partie des trois athlètes de petite taille de l’association. « Il faut les intégrer et saluer les efforts qu’ils font pour se surpasser car en chacun de nous il y a un handicap », prône la bonne dame. «L’image de la personne handicapée est très souvent associée à la mendicité. Il faut encourager ceux qui se battent. Si nous avons choisi de faire le sport, sachez que ce n’est pas facile. Mais nous y mettons du cœur. Nous avons besoin de structures de sport adaptées pour personnes handicapées », plaide pour sa part le champion paralympique.

Djenabou Kangouté, un rendement salutaire au travail

En dehors du sport, quelques personnes de petite taille parviennent à s’insérer dans l’administration. Même si elles se comptent du bout des doigts. Djenabou Kangouté est l’une d’elles. Agée de 32 ans, elle mesure 1,20 m. Secrétaire comptable à la banque du trésor au Plateau, elle possède un Brevet de technicien supérieur (Bts) en finances comptabilité. Nous avons choisi l’heure de la pause pour échanger avec elle le 17 septembre dernier à son bureau situé au premier étage de l’immeuble. Sympathique, avenante et jolie, elle est heureuse de nous recevoir, comme si elle attendait ce moment : « merci de vous intéresser à nous. Ce n’est pas toujours évident qu’on parle de nous quand il ne s’agit pas de nous ridiculiser », annonce-t-elle, comme pour caricaturer l’image extérieure de la personne de petite taille. Une image que Djenabou a le pouvoir de surmonter. Elle est bien née. Bien entourée. Sa famille l’adore. Au travail, elle est le chouchou de ses collègues. Tout le monde la salue au passage. Certains la taquinent même pendant qu’elle répond aux questions du reporter. D’où puise-t-elle cette joie de vivre ? « Je suis la seule dans ma famille à être de cette taille. J’ai même posé la question à ma mère pour savoir qu’est ce qui a occasionné mon handicap mais elle m’a dit que c’est la volonté de Dieu et que je dois prendre la vie du bon côté », répond la jeune fille. C’est en 2006 qu’elle intègre la Fonction publique à la faveur du recrutement des personnes handicapées. Elle débute au service financier du Centre national de transfusion sanguine. « J’ai commencé avec le Bt ensuite j’ai fais le Bts et je compte aller encore de l’avant. » Notre interlocutrice se réjouit de la bonne ambiance au travail et surtout la compréhension de ses supérieurs. « C’est difficile de travailler avec les personnes de petite taille parce que nous sommes tout le temps fatigué après avoir accompli une petite tâche. Si le chef de service ne comprend pas, il peut se fâcher. J’ai la chance d’avoir une responsable qui me comprend », argumente Mlle Kangouté. Le chef de service en question se nomme Anick Opeli. Interrogée, elle dit être satisfaite du rendement de sa collaboratrice. « C’est une collaboratrice comme tous les autres. Je ne vois pas de différence. Je suis contente de son rendement », félicite la responsable. En dehors de son parcours professionnel, Djenabou Kangouté est aussi la détentrice de l’écharpe de première dauphine du concours de beauté sous-régional des personnes de petite taille. « Quand je suis allée à Bamako en 2012, j’ai été la première dauphine du concours miss des personnes de petite taille. On devrait me recevoir comme les autres miss qui vendent positivement l’image de la Côte d’Ivoire mais cela ne s’est pas fait. J’ai échangé par téléphone avec la deuxième dauphine et elle m’a dit que les autorités de son pays l’ont accueilli à l’aéroport. » Djenabou n’est pas déçue pour autant. Elle décide de mettre en place une association des personnes de sa catégorie. Il s’agit de l’Association des personnes de petite taille de Côte d’Ivoire (Apptci). Elle entre en contact avec Djamassé Raoul alias Américain et ensemble, ils montent le projet en cours de finalisation. Américain n’est plus à présenter. Il est une figure emblématique des personnes de petite taille dans le pays. C’est dans les années 90 qu’il vient au devant de la scène par la musique. Ses mélodies bercent l’opinion qui l’adopte. Si Américain est adulé et respecté, c’est aussi grâce à son bagage intellectuel. Diplômé en physique nucléaire, il est professeur de lycée option physique-chimie avec le rang A4. Il est affecté au service communication du Centre national des matériels scientifiques (Cnms) à Cocody et gagne bien sa vie.

Djamassé Raoul alias Américain, l’icône incontournable

Il est chargé de promouvoir le centre qui dispose des matériels de sciences physiques et de sciences de la vie et de la terre pour les lycées et collèges. Américain nous reçoit à son bureau à la veille de la fête de la Tabaski. L’artiste chanteur est installé au rez-de chaussée pour éviter les escaliers. Dans la pièce, l’homme occupe un meuble taillé sur mesure. Une petite caisse est posée sous son siège pour lui permettre de monter et de s’asseoir facilement. Assis à son aise, il est à l’abri des lourdeurs que peuvent ressentir les personnes de petite taille dans un environnement non adapté. « Ici on a créé un monde meilleur pour moi », mentionne-t-il avec son brin d’humour habituel. Il est courant de rencontrer des hommes de petite taille qui s’identifient à lui. Comment vit-il cette position ? Il répond avec modestie : « on voit Américain, mais il y a aussi d’autres personnes qui s’en sortent. Nous avons des bacheliers, des étudiants, des coiffeuses. Nous commençons à nous intégrer, ce qui n’était pas le cas avant. Mais pour réussir l’intégration, nous devons nous organiser ». Sur son bureau, on aperçoit une chemise contenant les statuts et règlements de l’Apptci. Américain affirme qu’il est respecté parce qu’il inspire le respect. « On me respecte parce que j’ai un niveau intellectuel élevé, mais les autres, ce n’est pas toujours évident. A Yopougon et à Koumassi, les personnes de petite taille dansent dans les bars et on les prend comme des bouffons. Quand je vois cela, j’ai mal. » Pour Américain, les personnes de petite taille ne sont pas là pour faire rire les gens ou pour inspirer la pitié. « Je ne suis pas d’accord. Il y a mieux à faire.» Américain a peut-être raison. Victimes de préjugés, certaines personnes de petite taille se résignent. Soit elles s’offrent en personnage burlesque pour assumer leur pitance quotidienne. Soit elles vivent recluses, cachées du monde extérieur de peur d’être écrasées. Nous nous en rendons compte cet après midi du 17 septembre. Yacouba Koné, président de l'Organisation ivoirienne des démocrates handicapés (Oidh) nous a arrangé un rendez-vous avec une élève en classe de première dans la commune d’Abobo. Mais à notre arrivée, la jeune fille n’a pas daigné se présenter. « Lorsque l’heure du rendez-vous approchait, elle est repartie à la maison. Elle s’est rétractée parce qu’elle ne veut pas qu’on parle d’elle dans les journaux. Elle a peur du regard des autres parce que les gens ont tendance à rire devant les nains. On les prend pour des bouffons », justifiera Jeannot Okoué Ogoua, chargé des affaires sociales de l’association. « Ces personnes sont pour la plupart victimes d’un complexe d’infériorité. Elles ont des problèmes pour s’assumer. Elles peuvent travailler comme tout le monde mais il y a des travaux qu’elles ne sont pas en mesure d’effectuer. Donc leur insertion devient plus difficile que pour le paralytique », ajoute le président Koné. Il nous apprend que la difficulté d’insertion est aussi liée à la non scolarisation du fait des préjugés. « Les gens les voient comme des sorciers. C’est l’un des problèmes fondamentaux. Du coup, les parents rechignent à les scolariser. » Un argument que développe également Américain : « Quand un enfant est ainsi dans une famille, la mère est mal vue dans notre société. Les parents n’acceptent pas toujours de le scolariser. On le taxe de génie, de diable. Quand on l’exclue, il fonce droit dans l’échec social. Il se transforme en mendiant», dénonce Djamassé Raoul. Même quand elles sont scolarisées, la question de l’emploi demeure. Le Collectif des handicapés diplômés sans emploi (Cohdise) dirigé par David Konan revendique une trentaine de personnes de petite taille. « Elles rencontrent en général les mêmes problèmes d’insertion que les autres types de handicap, mais singulièrement du fait de leur petite taille, elles sont infantilisées peu importe leur âge et surtout leur potentialité qui à n’en point douter est énorme », nous révèle le porte-parole du collectif dans un échange par mail le jeudi 18 septembre. A l’en croire, le peu qui réussit à s’insérer se retrouve en général dans le secteur informel. M. Konan cite, entre autres, l’artisanat, le commerce, l’élevage, l’agriculture. Deux jours auparavant, notre équipe a interviewé Konan Anne Cécile, secrétaire de la Fédération des associations des personnes handicapées au siège de la structure au Plateau. Elle est par ailleurs, la présidente de l’Union des femmes handicapées. Comme le précédent intervenant, elle admet le caractère particulier de ce type de handicap. « Ces personnes rencontrent des difficultés que nous ne rencontrons pas. On défend aux personnes handicapées d’enseigner en général mais quand il s’agit des handicapées de la taille, c’est encore grave. Au niveau du primaire, les handicapés moteurs n’enseignent pas mais dans le secondaire, ils sont admis. Par contre les nains sont refusés aussi bien dans le primaire que dans le secondaire. Pour un monde de travail qui est déjà réduit, vous comprenez que c’est difficile. Surtout lorsqu’il s’agit de domaine où ils peuvent faire valoir leur compétence», constate-t-elle amère. « Il ne faudrait pas que lorsqu’un individu est de petite taille, il soit marginalisé d’office. En tant que citoyen ordinaire, ce sont des gens qui ont de la valeur intrinsèque, de la connaissance, du savoir-faire. Il faudrait qu’on sache les utiliser pour que ce pan de la société contribue au développement », recommande pour sa part, Dr Guillaume Djè Bi Tchan, psychologue, spécialiste de la génétique différentielle. Il a fait cette sortie au cours d’un entretien à l’université Félix Houphouet Boigny de Cocody, le 17 septembre également. Lors du dernier recensement général de la population (en 1998), les personnes de petite taille n’ont pas été prises en compte. Il est aujourd’hui difficile de situer leur nombre exact. C’est pourquoi l’association en gestation compte identifier cette catégorie de personnes sur le territoire national. Et aussi recueillir les problèmes qu’elle rencontre pour mieux orienter ses actions.

L’exemple malien

Le premier samedi des mois, les adhérents se retrouvent à Adjamé. Ils apprennent à surmonter les préjugés et s’assumer. Mais surtout, c’est la question de l’insertion socio-professionnelle qui domine les débats. L’ initiative est encouragée au niveau international. Karidjatou Marie, présidente de l’Association africaine des personnes de petite taille et par ailleurs présidente de l’Association malienne des hommes de petite taille est venue coacher ses pairs le 21 février dernier à Abidjan. Pour la petite histoire, le Mali est pionnier dans la prise en charge spécifique des personnes de petite taille dans la sous-région. C’est sous l’impulsion de Logbo Touré, l’ancienne première dame que le sujet est pris à bras-le-corps. Karidjatou Marie est même employée au Palais présidentiel de son pays. En Côte d’Ivoire, l’insertion spécifique des personnes de petite taille n’est pas encore sur la table des grands débats. Elles sont prises en compte dans la politique globale des personnes handicapées. C’est ce que dit en substance Victorien Krouwélé Dosso, directeur de la Protection des personnes handicapées avec qui nous avons également échangé : « Les personnes de petite taille sont vues comme des handicapées et cela ne date pas de très longtemps. Ici en Côte d’Ivoire, il n’y a pas de politique spécifique et définie concernant les personnes handicapées. Nous avons une politique générale, dans laquelle nous avons les différents types d’handicaps habituels, à savoir : les handicapés moteurs, les handicapés sensoriels, les handicapés auditifs et intellectuels.» Cependant, ajoute-il, la notion de l’handicap étant évolutive, certains phénomènes peuvent conduire à une classification. Pour défendre la cause de ses semblables au sommet de l’Etat, Djenabou Kangouté, l’initiatrice de l’association ivoirienne rêve en secret de rencontrer la Première Dame, Dominique Ouattara. Qui dit que ce qui a marché à Bamako, ne peut pas marcher à Abidjan ?

Nesmon De Laure

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