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18 mai 2015 1 18 /05 /mai /2015 17:08
 (photo: Dr)
(photo: Dr)

Dr Emma Usman Shehu, enseignant et activiste, est l'un des leaders du mouvement « Bring Back Our Girls » au Nigéria. Nous l’avons rencontré à Abuja le 30 avril dernier. Un an après l’enlèvement des lycéennes de Chibok, il plaide pour plus d’implication des Africains dans la lutte contre le terrorisme.

Comment a été mis en place le mouvement « Bring Back Our Girls » ?

Le 14 avril 2014, tout le monde a été alerté que des filles ont été kidnappées à l’école. L’opinion attendait que quelque chose soit fait. Les militaires ont promis de les libérer. Après, il y avait une contradiction. Il n’y avait pas de libération. Alors, les populations de Chibok attendaient des nouvelles. Deux semaines après, elles sont venues à Abuja, se sont mobilisées et ont vigoureusement protesté. En tant que citoyens, nous avons rejoint la protestation. Le 24 avril 2014, Hadiza Bala Usman, l’une des principaux fondateurs du mouvement, est rentrée en contact avec Maryam Uwais, une militante des droits des femmes ici au Nigéria. C’est ainsi qu’elles ont lancé un message invitant le peuple à se lever. Ce qui a été fait. Parallèlement, Oby Ezekwesili, un juriste qui travaille à Abuja a lancé le tweet « Bring Back Our Girls ». C’est comme cela que l’expression est née. Mais il y avait aussi d’autres groupes. Un autre activiste a écrit une lettre invitant les personnes sensibles à la question pour un meeting. Nous avons décidé de mener une marche ensemble.

Où ont lieu les manifestations ?

Le premier jour, nous nous sommes retrouvés au parc Fountain unity (Ndlr : fontaine de l’unité) du centre d’Abuja. Et cet endroit est devenu jusqu’à ce jour le lieu de la protestation. Nous n’avons plus arrêté. Sauf les deux jours de l’élection présidentielle. Cela fait 366 jours (Ndlr : au 30 avril 2015) que nous protestons à la même place. Quand nous nous retrouvons là, nous décidons de ce qu’il y a lieu de faire pour maintenir l’attention sur le sujet.

Pourquoi avoir choisi ce parc comme le principal lieu de la protestation ?

C’est un parc où se trouve également le drapeau de la nation nigériane. Nous l’avons trouvé symbolique parce qu’il s’agit d’une cause nationale. La plupart d’entre nous ne sont pas originaires de Chibok ni ne vivent à Chibok. Beaucoup ne connaissaient pas cette ville. C’est à partir de l’enlèvement que le nom est resté dans la conscience collective. Dans le passé, si j’avais des élèves originaires de Chibok, cela ne me disait rien. Mais aujourd’hui, le nom de la ville a une nouvelle connotation.

Êtes-vous en contact avec les familles des victimes ?

Bien sûr. Nous avons contacté les responsables de la communauté de Chibok d’Abuja. Certains étaient à la manifestation ce matin (30 avril). Et même hier, ils étaient encore avec nous. Avec l’annonce de la libération de certaines filles, les parents depuis, Chibok ont le regard tourné vers Abuja. Le 14 avril dernier, pendant l’anniversaire de l’an un de l’enlèvement, la communauté de Chibok est venue en masse.

Quel est l’état d’esprit des filles qui ont pu s’échapper des mains des terroristes ce jour ?

Lorsque nous avons commémoré les cent jours de l’enlèvement, nous avons remarqué que des otages étaient toujours entre les mains des terroristes. Pour nous, le gouvernement ne faisait pas assez pour leur libération. Il y avait pas mal de contradictions dans le discours du gouvernement à l’époque. Alors, nous avons décidé d’organiser un événement et nous avons invité Malala, l'adolescente afghane grièvement blessée par les Talibans pour être allée à l'école. Nous avons aussi invité quelques rescapées. Deux sont venues et ont rencontré Malala. Elles ont pu échanger avec cette jeune fille qui a vécu une expérience similaire et qui l’a surmontée. Cela les a encouragées. Quand les filles sont arrivées, nous avons constaté qu’elles étaient toujours effrayées. D’ailleurs, au début, elles ne voulaient pas venir au lieu du rassemblement parce qu’elles se sentent toujours menacées par Boko Haram. Elles se disent que les terroristes sont partout. Elles avaient un regard vague, en somme, elles sont toujours traumatisées. Nous avons découvert que depuis leur fuite, aucun membre du gouvernement n’est allé prendre de leurs nouvelles. L’armée n’a pas recueilli leur témoignage. Elles n’ont bénéficié d’aucune attention du gouvernement.

Discutez-vous avec le gouvernement ?

Bien sûr. Nous avons forcé une marche devant l’Assemblée nationale. Nous avons rencontré le président du Senat. Nous avons tenté de marcher jusqu’à la Présidence, mais nous avons été stoppés par un représentant du Président Goodluck Jonathan et certains ministres en cours de marche. L’envoyé du Président nous a dit que ce dernier ne pouvait pas nous recevoir compte tenu de son agenda chargé et qu’il nous recevrait bientôt. Nous avons insisté et la police nous a dispersés à coup de gaz lacrymogène. Alors, nous avons déposé un courrier contenant nos revendications, dont la mise sur pied d’un fonds pour la prise en charge des victimes et leur réhabilitation. Nous avons retenté de rencontrer le Président mais, il a une fois de plus refusé. Nous pensons qu’il devrait en tant que père de la nation, aller jusqu’à Chibok et échanger avec la population. C’est seulement quand Malala est venue et qu’il l’a reçue, qu’il a admis de rencontrer les gens de Chibok qui étaient présents à Abuja. Ce n’est pas juste. Les ressortissants de cette localité ont également trouvé cela injuste. En Afrique, nos coutumes veulent qu’on se déplace vers les populations en détresse pour leur apporter un réconfort. Ce n’est pas le sens inverse. Ce n’est pas un bon leadership.

On a également noté la visite de trois membres du congrès américain. cela a-t-il fait évoluer le débat ?

Effectivement, trois membres du congrès américain sont venus au Nigéria. Ils nous ont rencontrés et ont également rencontré le Président. Ils lui ont répété qu’il fallait un fonds pour la prise en charge des victimes du terrorisme. C’est seulement parce que des gens sont venus de l’extérieur qu’il a adhéré à cette proposition que nous faisions depuis. Vous voyez, nous faisons tous les efforts, mais nous sommes attaqués, traités d’opposants au régime d’alors. Il y a eu un temps, où nos manifestations ont été interdites, mais nous avons résisté parce que selon les lois nigérianes, les manifestations pacifiques sont autorisées.

Le 27 avril dernier, l’armée nigériane a annoncé la libération de 293 filles et femmes du fief de Boko Haram. Que représente cette actualité pour votre mouvement ?

Le 14 avril dernier, le gouvernement a promis qu’avant fin mai 2015, il sauverait des otages. Mais pour nous, l’armée doit faire un bilan hebdomadaire aux familles. Les familles des victimes doivent savoir ce qui est entrepris. Mais jusqu’à présent, nous n’avons pas de point clair pour savoir si effectivement des filles ont été libérées. Dans tous les cas, si elles le sont vraiment, c’est une bonne nouvelle. Nous pensons que le gouvernement a là l’opportunité de montrer que le cas Chibok l’affecte également. Il faut une solution. Je pense que c’est pour cette raison sécuritaire que de nombreux électeurs ont boudé le candidat, Président sortant, Goodluck Jonathan, pendant le scrutin. Sa défaite est un vote sanction.

Quelle est la suite de votre combat avec l’avènement de nouvelles autorités au lendemain de la présidentielle ?

Nous avons produit une déclaration aujourd’hui même (Ndlr : 30 avril) que nous allons acheminer vers les nouvelles autorités. Nous disons qu’en ce qui nous concerne, peu importe le parti auquel appartient le président de la République, il est de sa responsabilité de sauver les filles. Chaque Nigérian a le droit d’être en sécurité dans son pays. Si nous sommes en fin mai 2015 et que les filles ne sont pas libérées comme l’a promis le nouveau Président, Muhammadu Buhari, notre démarche ne va pas changer. Nous allons poursuivre nos manifestations. Seulement qu’il ne commette pas la même erreur que l’ex-Président Goodluck Jonathan qui nous traitait d’opposants. Il risque de subir le même sort que ce dernier. Nous maintenons la même pression, car on a le droit de savoir où se trouvent ces filles. Sont-elles en vie ? Sont-elles mortes ? On doit savoir. Elles ne doivent pas être mariées sans la permission de leur parent, ni sans leur propre consentement. C’est une violation flagrante de leurs droits.

En dehors des lycéennes, les enlèvements continuent par endroit au Nigeria. Comment la population appréhende-t-elle cette situation ?

La population est terrorisée par la situation. Les populations du nord sont dans le désarroi. Même ici à Abuja, il fut un moment où les gens avaient peur de sortir parce qu’il y a eu un attentat à la bombe. Si ici à Abuja, où il y a permanemment une sécurité maximum, les gens ont eu peur, imaginez ailleurs. Ce sont des emplois perdus avec les mouvements des populations. Vous connaissez bien les méthodes des membres de Boko Haram. Ils enlèvent les gens, les découpent, les violent, ils attaquent à la bombe. C’est terrifiant. Les gens ont peur de perdre leur business, spécialement dans les villes où des incidents ont eu lieu. Les gens ont peur de s’aventurer dans le nord.

On constate qu’en plus du Nigéria, le terrorisme prend de l’ampleur en Afrique. Il y a eu récemment l’attentat de la terrasse au Mali, puis celui d’une cité universitaire au Kenya. Quelle solution globale envisager pour sécuriser le continent ?

Quand nous avons entamé notre mouvement, la communauté internationale s’est mobilisée. Même les médias publics locaux ne couvraient pas nos manifestations parce qu’ils avaient peur de la réaction de l’Etat, déjà que nous étions traités d’opposants. Et pourtant, il s’agit d’un mouvement citoyen. Des filles enlevées à l’école, dans le nord où l’accès à l’éducation n’est pas évident pour les filles, c’est un grand problème. 276 lycéennes dont 57 ont réussi à s’échapper, cela devrait interpeller les medias locaux. Hélas. Aujourd’hui, le monde entier s’y intéresse grâce aux medias internationaux. Les Etats-Unis ont mis l’expertise américaine au service de l’Etat. Vous voyez, la solution est internationale. Nous poursuivons la pression et nous invitons la société civile africaine à se lever également pour que nos gouvernants prennent à bras le corps la question du terrorisme. La solution n’est ni locale, ni régionale. Elle est mondiale. C’est pour cela que lorsque des élèves ont été enlevés au Pakistan, nous avons exprimé notre indignation et notre soutien aux victimes devant l’ambassade pakistanaise à Abuja. Pendant l’événement de Garisa au Kenya, nous avons consacré l’une de nos manifestations journalières, à la solidarité avec les victimes kenyanes. C’est ce que nous pouvons faire à notre niveau. Nous pensons que c’est grâce à notre protestation que les chefs d’Etat africains ont été obligés de prendre part à un sommet en France sur le sujet.

Quel message particulier aimeriez-vous adresser à l’opinion africaine ?

Les Etats africains doivent réaliser que le terrorisme est une question sérieuse. Boko Haram agit au Cameroun, au Niger, au Tchad. Ils sont en relation avec les islamistes. Toute l’Afrique est menacée par le terrorisme. En Lybie, dernièrement, c’est un Sénégalais qui portait la bombe. Cela veut dire que nous avons des ressortissants ouest-africains qui s’entraînent en Lybie. Nos Etats devraient être interpellés. Les leaders africains ne doivent pas croiser les bras, au risque de voir tout le continent affecté par les pratiques macabres des groupes terroristes.

Interview réalisée à Abuja par Nesmon De Laure

et traduite de l'anglais par Nesmon De Laure

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