Dr Nestor Azandegbe, est conseiller régional santé maternelle au Fonds des Nations unies pour la population (Unfpa) Dakar. Dans cette entrevue qu’il nous a accordée, le 6 mai dernier, à Abidjan, il propose ses solutions pour la réduction de la mortalité maternelle en Côte d’Ivoire.
Qu’est-ce qu’un décès maternel ?
C’est un décès qui survient par rapport à une cause qui est liée aux grossesses ou à l’accouchement ou après l’accouchement, allant jusqu’à quarante deux jours après l’accouchement ; lorsque la cause est liée à la grossesse. Mais lorsqu’une femme enceinte meurt d’un accident, ce n’est pas considéré comme un décès maternel. C’est une cause accidentelle directe.
Quel est l’état des lieux de la mortalité maternelle dans la sous-région ?
Dans les huit pays francophones réunis dans le cadre de la réunion consultative, la situation n’est pas reluisante. L’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale constituent les sous-régions où la mortalité maternelle est la plus élevée. Mais aussi où l’espoir, même s’il existe, n’est pas franc. L’espoir pour qu’il devienne franc et une réalité demande que les dirigeants, les Etats, les personnes influentes, les communautés y compris les religieux, les acteurs de développement, s’impliquent.
Quelle est la situation en Côte d’Ivoire ?
La Côte d’Ivoire est partie d’une situation pas bonne au départ. Et on a constaté que le pays n’a pas fait de progrès quand on compare la situation de 1990 à 2013. Il n’y a pas eu de progrès en Côte d’Ivoire. Mais heureusement, il n’y a pas eu de recul comme certains l’ont fait croire à un moment donné. Nous avions pensé que la situation de crise qu’a traversée le pays avait eu un impact négatif sur la mortalité maternelle. Eh bien, une étude rendue publique il y a quatre jours (Ndlr : 2 mai dernier), vient nous montrer que les chiffres ne sont pas si alarmants que cela. Toutefois, le pays n’a pas progressé. La Côte d’Ivoire stagne. Or il faut avancer. Avec le surplace, la stagnation, on peut considérer qu’on régresse. La situation est tout à fait comparable aux autres pays de la région. Nous devons donc redoubler d’efforts pour changer la donne.
L’avortement est cité parmi les causes des décès maternels. Quelle est sa véritable part ?
L’avortement contribue à 13% des décès maternels ; c’est énorme! Ces avortements surviennent surtout parmi la population juvénile. L’impact est énorme parce qu’il s’agit en général d’élèves. Ces élèves ne peuvent plus retourner à l’école. Elles peuvent aussi s’en sortir avec des séquelles liées à cet avortement qui feront que plus tard, il leur sera difficile d’enfanter quand elles le voudront. C’est pour cela que le Fonds des Nations unies pour la population soutient les programmes de planifications familiales. Ces programmes ne signifient pas que la distribution de contraceptifs. Cela signifie des informations de qualité à donner à ces jeunes filles pour qu’elles puissent se prémunir des grossesses précoces, donc de l’avortement qui suit ces grossesses.
Quelles sont les causes récurrentes, en dehors de l’avortement?
Nous avons les hémorragies, l’hypertension, les infections, le travail d’accouchement long ou difficile. Ce travail peut durer des jours. Quand la femme quitte la maison, avant d’atteindre le centre de santé, la catastrophe peut survenir. Il s’agit là de causes directes. Il y a aussi ce que nous appelons les causes indirectes. Il y a, par exemple, le paludisme, le Vih, l’infection. Il y a également des causes profondes que nous appelons les déterminants de la santé comme la pauvreté, par exemple. La non-autonomisation de la femme, en termes de capacité pécuniaire y est pour quelque chose également. Il y a des femmes qui attendent leur mari avant de se rendre au centre de santé pour la consultation prénatale.
L’alimentation de la femme enceinte peut-elle être mise en cause dans la mortalité maternelle?
Bien sûr! Les aspects nutritionnels sont extrêmement importants. La supplémentation en certaines vitamines qui manquent est nécessaire. Il y a aussi des cas d’infection par les vers. Il faut se déparasiter. Pendant la grossesse, les vers empêchent de digérer normalement la nourriture. L’hygiène corporelle est aussi prédominante pendant la grossesse, pour éviter certaines infections. Il faut se laver avec une eau potable. Cette eau doit être disponible. C’est une question de développement. Les Etats doivent donc s’impliquer.
En quoi doit consister l’implication des Etats?
C’est vrai que nous avons besoin de l’aide des partenaires au développement, mais nous devons d’abord nous autofinancer. Nos Etats doivent mettre davantage de ressources dans la santé et l’éducation, ces secteurs sociaux de base. Mais surtout, ils doivent investir massivement dans la santé des femmes et des enfants.
La Côte d’Ivoire a adhéré à la Campagne pour l’accélération de la réduction de la mortalité maternelle en Afrique (Carmma), en juillet dernier. Qu’est-ce qui a changé, selon vous?
Il s’agit d’une prise de conscience au niveau des décideurs politiques. La Carmma est un cadre pour que les acteurs de la santé posent les vrais problèmes aux décideurs. Dans la sous-région, il y a des pays où le lancement de la Carmma a donné lieu à des actions concrètes comme l’augmentation du budget de l’Etat pour la santé. La Sierra-Leone et le Burkina Faso ont fait d’énormes progrès en la matière. La Côte d’Ivoire est un pays dans lequel nous portons beaucoup d’espoir. C’est un pays névralgique de l’Afrique de l’Ouest qui peut mobiliser ses ressources. Si elles sont organisées de façon adéquate, la Côte d’ivoire peut devenir un modèle.
Depuis juillet dernier, sentez-vous des progrès en matière de réduction de la mortalité maternelle en Côte d’Ivoire?
Il y a des progrès. On note une prise de conscience. La Première dame et le Premier ministre ont associé leur image au lancement de la Carmma, de même que les partenaires bilatéraux. Nous avons vu les images et nous avons été impressionnés. Il faut que cela devienne un moteur puissant à la réduction des décès maternels.
Les femmes constatent, par ailleurs, la récurrence des cas de césarienne. S’agit-il d’une tendance recommandée par les experts de la santé maternelle?
La césarienne est une recommandation, mais il y a des abus dans certaines formations sanitaires. Toutefois, notre sous-région n’a pas encore atteint le niveau recommandé par l’Organisation mondiale de la santé pour les césariennes. Le taux de césariennes dans un pays, pour dire que son système de santé maternelle de prise en charge des cas d’urgence se porte bien, c’est entre 5 et 15%. Mais dans nos pays, nous sommes en dessous de 2%. Cela veut dire que nous n’avons pas encore atteint le niveau minimal de césariennes qu’il faut. D’un point de vue santé publique, au plan régional, nous n’avons pas encore assez de césariennes pour sauver la vie des femmes qui ont des complications qui nécessiteraient cette intervention.
Quel message particulier adressez-vous aux femmes enceintes et aux agents de santé ?
Nous demandons aux agents de santé de poursuivre leur sacerdoce. La santé n’est pas un domaine où on peut devenir riche. Les femmes doivent continuer à se battre pour leur autonomie financière. La femme enceinte en particulier doit prendre soin d’elle et du petit chouchou qu’elle porte dans le ventre, en allant en consultation.
Interview réalisée par Nesmon De Laure