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2 juin 2015 2 02 /06 /juin /2015 20:33
L'examen oral est un face à face comme illustré ici. ( crédit ph:Dr)
L'examen oral est un face à face comme illustré ici. ( crédit ph:Dr)

Le sujet n’est pas nouveau. Mais il prend des proportions de plus en plus inquiétantes. Le racket aux épreuves orales et physiques des examens à grand tirage est en passe de s’institutionnaliser. Notre constat.

Les épreuves orales du Brevet d’études du premier cycle (Bepc) débutent ce 2 juin 2015. Elles prennent fin le 5 juin prochain. Et déjà, certains enseignants se frottent les mains. Cette période est considérée comme une « traite ». D’après les témoignages recueillis, c’est le moment idéal pour faire prospérer le racket. De quoi s’agit-il ? La composition orale se déroule entre l’élève et l’encadreur. Ils s’asseyent face-à-face dans une salle de classe aménagée pour la circonstance.

2000 FCfa pour obtenir 16/20 à l’oral d’anglais

L’élève est sensé répondre aux questions de l’enseignant dans la langue programmée. Pour ce qui est du Bepc, c’est l’anglais. Il s’agit là, de la règle. Mais dans la réalité, ce simple rituel connaît d’autres déviations. C’est très souvent que les enseignants exigent de l’argent aux impétrants pour leur rétribuer de bonnes notes. La conséquence est que les candidats fournissent moins d’efforts pendant que les enseignants s’enrichissent frauduleusement, entachant ainsi les examens. Et la pratique décriée au fil des ans, résiste. On est tenté d’écrire qu’elle s’institutionnalise. Les élèves ayant composé l’année dernière et que nous avons approchés sont unanimes. Les notes sont arrimées à des prix précis. Pour obtenir une note de 16/20, par exemple, il faut payer 2000 FCfa. En tous cas, c’est la somme déboursée par trois candidats au Bepc, aujourd’hui en classe de seconde. HK, l’un d’eux, a composé au Lycée moderne de Port-Bouët. Il se souvient : « je suis un élève brillant en anglais. En classe, mes camarades m’avaient surnommé Shakespeare. Mais le jour de mon passage, l’examinateur a exigé 2000 F. Il était nerveux quand je lui ai dit que je n’avais pas d’argent. J’ai compris qu’il fallait faire quelque chose pour sauver ma peau. Un ami a accepté de me prêter de l’argent », se remémore le jeune élève. Au baccalauréat également, ce type de tricherie est courant. Pour obtenir de bonnes notes à l’oral de français, d’anglais, d’espagnol ou d’allemand, les candidats payent également 2000 F. Un tarif confirmé par un enseignant de français joint par téléphone à Gagnoa. On le voit, la pratique se rencontre d’un examen à un autre, comme si on avait affaire à un tarif homologué. L’ampleur du phénomène plonge les candidats dans l’angoisse. Certains se confient même à Dieu. Cela paraît cocasse, mais c’est une réalité. Deux fidèles d’une église évangélique à Abobo, précisément au Plateau-Dokui ont demandé « d’intenses prières » pour ne pas être confrontés au racket. Ces derniers devaient composer pour les épreuves physiques du Bepc. « Le responsable de l’église lisait les bouts de papiers déposés à l’autel par les fidèles à la fin du culte un dimanche en début mai, quand tout d’un coup il est tombé sur la demande d’intercession de nos deux frères », raconte Irié-Bi Béda, fidèle de ladite église. Il précise que les devanciers de ces derniers leur ont rapporté que les notes sont vendues à partir de 500 FCfa. Nos investigations permettent de certifier le prix imposé. C’est le même tarif qu’ont déboursé la semaine dernière pour lesdites épreuves, certains candidats.

L’angoisse des candidats

Les élèves contactés à Abobo et à Yopougon avancent avoir payé 500 FCfa. « Je n’avais pas le choix. On nous a demandé de payer 500 F pour obtenir de bonnes notes. J’ai donc payé », confie Mariam Bamba, élève à Yopougon. A Gagnoa, les candidats ont payé plus. « Dans la plupart des centres, le tarif est généralement de 2000F », témoigne notre contact sur place. Nous l’avons interrogé le 23 mai, alors que les épreuves physiques avaient cours. Un enseignant d’Education physique et sportive qui requiert l’anonymat, accepte de lever un coin du voile sur la méthode utilisée pour échapper à la vigilance : « l’enseignant n’encaisse pas directement l’argent. Le chef de classe dresse une liste avec les noms des candidats qui sont partants pour la magouille. S’il y a dix noms, il est sûr d’empocher 20 mille F et sa journée est gagnée ». C’est que, d’emblée, les élèves savent dans quel centre ils vont composer. Le professeur demande alors à ceux qui doivent passer avec lui d’attendre sur le terrain de volley-ball, par exemple. Le temps qu’il arrive, il a au moins quinze à vingt minutes pour conclure le marché avec le chef de classe. C’est ce dernier qui collecte l’argent et le remet à l’encadreur. TB Saint-Clair, enseignant dans le privé à Cocody-Angré avec qui nous avons échangé le 1er juin 2015, reconnaît que le racket s’institutionnalise. Il condamne la pratique et pense que les enseignants du privé sont les plus impliqués. « Il est connu que les enseignants du privé n’ont pas un bon traitement salarial. Alors, quand approchent les vacances scolaires, ils sont dans le tourment. Comment aborder les mois de juillet, août septembre ? En rackettant les candidats, ils se préparent à vivre les mois de la déprime avec moins d’acuité », justifie-t-il. Pour endiguer ce genre de fraude, notre interlocuteur pense qu’il faut payer les enseignants du privé au Smig. Pour lui, il faut également revoir les affectations des profs dans les centres d’examen. « Pour ne plus payer les frais de mission, les enseignants ne font plus de rotation de ville en ville. Ils restent sur place, dans un environnement qu’ils maitrisent le mieux. C’est un risque de fraude massive », prévient TB Saint-Clair. Même s’ils connaissent une revalorisation salariale, les enseignants du public n’échappent pas aux critiques. Siaka Traoré, secrétaire général du Syndicat national des enseignants du second degré de Côte d’Ivoire (Synesci) reconnaît l’existence de brebis galeuses dans leur rang. « Nous ne nions pas la pratique, mais sachez que c’est une minorité qui jette l’opprobre sur la corporation », avoue-t-il, joint par téléphone. Il se désolidarise des arguments liés au traitement salarial. « Rien ne justifie le racket. C’est un problème d’éthique et de moral », condamne M. Traoré, les adeptes. « Les autorités semblent ignorer ou du moins accorder peu d’intérêt aux épreuves physiques et orales alors que la sécurisation des examens doit commencer à ce niveau », peste O. Kouamé, un parent d’élèves excédé.

La Deco se défend

Ce dernier dénonce également certains complices parmi les parents d’élèves. « Souvent, ce sont les parents qui donnent un pourboire à leur enfant afin qu’il le remette à l’enseignant », s’indigne-t-il. Aka K. Edouard, vice-président de l’Union nationale des parents d’élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (Unapeeci), dédouane ses pairs. « C’est parce que la pratique s’est installée que certains parents se laissent entrainer. Ils ont peur de voir échouer leur enfant par défaut d’argent », note-t-il, sans toutefois approuver la démarche. Prenant la mesure des faits, Aka K. Edouard, propose l’utilisation des caméras de surveillance dans les centres pour les examens oraux. « Ce serait une bonne chose de dégager trois ou quatre salles de classe munies de caméras de surveillance pour les épreuves orales », recommande-t-il.Le secrétaire général du Synesci estime que ce ne sera pas efficace : « s’il y a des caméras dans les salles, les mauvais enseignants trouveront le moyen de racketter en dehors de la salle », est-il pessimiste. Pour lui, il faut mettre l’accent sur la sensibilisation et la sanction. Il a peut-être raison. Nombre des enseignants interrogés pensent que le dispositif sécuritaire aux écrits permet de mettre en déroute davantage de fraudeurs qu’aux oraux. Pour l’entrée en sixième, par exemple, ceux des instituteurs qui avaient l’intention « d’aider » leurs élèves n’y sont pas parvenus. Cependant, une source à la Direction des examens et concours (Deco), jointe également le 1er juin par téléphone, ne partage pas l’idée d’une porosité de la sécurisation des examens oraux et physiques. « Nous maintenons le même dispositif tant à l’écrit qu’à l’oral. Les inspecteurs, le ministère et tous les acteurs de la sécurisation font leur travail.» Cependant, notre interlocuteur reconnaît des difficultés sur le terrain. « Lorsque nous interrogeons les élèves, ils ne disent pas qu’ils ont été rackettés, soit pour protéger leurs notes, soit par peur de dénoncer les enseignants. Or, il faut que les fautifs soient pris la main dans le sac car il est difficile de parler de racket si nous n’en avons pas les preuves », indique notre interlocuteur. Toutefois, ce contact insiste pour dire que des tricheurs sont souvent appréhendés lors de ces examens. « A l’écrit, les copies sont physiques. Il est donc difficile de nier la fraude. Du coup, on appréhende facilement les tricheurs », analyse le travailleur de la Deco. Par ailleurs, cette source n’est pas opposée à l’idée d’une réglementation spéciale pour les épreuves orales et physiques. Pour rappel, 293 726 candidats au Bepc, sont repartis dans 533 centres à travers le pays. Quant au baccalauréat, ils sont 220 557 candidats à courir derrière le sésame dans 375 centres.

De la nécessité d’une réglementation spéciale

Les différents cas de figure mis en exergue par la Direction des examens et concours (Deco) au sujet des fraudes sanctionnées, semblent le plus concerner les épreuves écrites. Ceci, même si notre source dans cette administration s’en défend. Selon les dispositions de la Deco, l’absence de la signature du surveillant de même que l’absence de sticker sur la copie du candidat correspondent à un ajournement doublé d’une interdiction de trois ans au même examen ou concours. Pour deux copies conformes, il est prévu l’ajournement en plus de l’interdiction de deux ans au même examen ou concours. Des écritures différentes constatées sur la même copie, de même que, deux copies pour le seul candidat dans la même épreuve correspondent à un ajournement et une interdiction de cinq ans de composition au même examen ou concours. Les enseignants que nous avons interrogés s’accordent à constater plus de rigueur à l’écrit qu’à l’oral. « A l’oral, nous arrivons à passer entre les mailles du dispositif», avoue K.J., enseignant à Divo, joint par téléphone le 25 mai dernier. « Nous sommes dans un face-à-face avec les élèves, ce n’est pas évident d’être pris pour tricherie », semble-t-il confiant. Si la surveillance parait moins dure à l’oral et à l’épreuve physique, le code pénal, lui, ne laisse pas de doutes planer. Il sanctionne bel et bien la tricherie et la fraude aux examens et concours en ses articles 275 et 277. Se fondant sur ce code, les autorités en charge de l’éducation, pourraient pencher pour une réglementation spéciale, prenant en compte la spécificité des examens oraux et physiques.

Nesmon De Laure

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